Cinema Komunisto : il était une fois la Yougoslavie, l’histoire d’un pays qui n’existe plus qu’au cinéma

Cinema Komunisto : il était une fois la Yougoslavie est un documentaire réalisé par la serbe Mila Turajlic. À travers l’histoire du cinéma yougoslave, ce film nous replonge dans les années Tito, à la découverte d’un passé parfois oublié.

FILM ANNONCE – Il était une fois en Yougoslavie : CINEMA KOMUNISTO from Les Films des Deux rives on Vimeo.

Depuis sa sortie en 2011, le film documentaire Cinema Komunisto : il était une fois la Yougoslavie a reçu de nombreux prix dans le monde entier. L’équipe le présente dans toute la France depuis 2013. Déjà encensé par la critique, il a été récompensé au quatrième Festival International du Cinéma d’Alger.

Un nouveau regard sur le passé

Cinema Komunisto permet de retourner en Yougoslavie, un État qui a disparu, mais qui subsiste dans les mémoires, notamment grâce au cinéma. Tout comme le film Goodbye Lenin!, œuvre représentative de l’ostalgie allemande, le documentaire de Mila Turajlic évoque ce que l’on définit comme la yougonostalgie. Comme l’explique la réalisatrice, chaque changement de régime a été suivi par une volonté d’oubli de la période précédente. Aujourd’hui, il est temps de se replonger dans le passé, qui a parfois été oublié.

Cette immersion dans la Yougoslavie d’antan n’a pas été simple. Quatre ans de recherches ont en effet été nécessaires pour réaliser ce documentaire. Les archives étant difficilement exploitables ou identifiables, il a fallu interviewer de nombreuses personnes ayant vécu du temps de Tito. Cela a permis d’identifier les évènements marquants de l’époque, que ce soit dans le monde du cinéma ou en politique, puis de rechercher des documents relatifs à ces évènements. Des documents encore inconnus ont alors été découverts, permettant à un passé oublié, ou caché, de renaître.

Parmi les personnes interviewées se trouve Leka Konstantinovic. Durant 32 ans, il a été le projectionniste personnel de Tito. Chaque soir, il lui projetait un film. Cinema Komunisto relate cette passion du Maréchal pour le 7e art qui y voyait un outil précieux pour construire l’image de la Yougoslavie.

Le cinéma au cœur de la politique

Tito au pouvoir, le cinéma a pris une place primordiale au cœur du régime. En 1946, les studios Avala Film sont créés. Destinés à permettre la réalisation de 30 à 50 films par ans, Avala Film doit concurrencer Hollywood en étant le plus grand studio de cinéma en Europe. Des moyens immenses sont déployés pour la production de films de guerre. Au cours du tournage de La Bataille de Neretva, plusieurs chars sont jetés dans une rivière et un pont est dynamité.

La Bataille de la Neretva (Bitka na Neretvi) de Veljko Bulajic, 1969

image du film La Bataille de la Neretva (Bitka na Neretvi) de Veljko Bulajic, 1969

La Cinquième Offensive (Sutjeska) de Stipe Delic, 1973

La Cinquième Offensive (Sutjeska) de Stipe Delic, 1973

Pour ce film, comme pour de nombreux autres, Tito convie les stars hollywoodiennes et européennes à faire partie du casting. Orson Welles, Elizabeth Taylor ou encore Richard Burton, qui endosse le rôle de Tito dans La Cinquième Offensive, sont ainsi reçus avec tous les honneurs. La présence de ces célébrités dans le cinéma yougoslave répand une image forte, celle d’un pays davantage tourné vers les États-Unis et l’Occident que vers l’URSS.

La contribution de Tito au cinéma yougoslave ne se limite pas à la production de films. Il visite les lieux de tournage et apporte des modifications aux scénarios. Le Maréchal porte aussi un grand intérêt au cinéma car il représente une arme de propagande des plus efficaces. La population étant en grande partie illettrée, la diffusion du message politique du pouvoir doit passer par l’image. Le cinéma répand dans la société yougoslave la doctrine politique de Tito, le culte qui lui est voué ou encore le sentiment de communauté unie. Cinema Komunisto retrace l’histoire du cinéma de Tito, qui a créé une image forte du pays et s’attache à découvrir ce qui se cache derrière cette façade de la Yougoslavie.

Olivia Camus

 

L’ex-Yougoslavie toujours sur les podiums

La Yougoslavie, ou l’usine à fabriquer des légendes. Le monde du sport se souvient encore des sueurs froides qu’elle donnait aux ogres américains et soviétiques. Si le pays n’existe plus, son modèle sportif, lui, a perduré.

Une pratique structurée

Un palmarès incroyable en handball, une réputation au basketball qui lui a valu le surnom de « US nightmare » (cauchemar américain), la Fédération jouait dans la cour des très grands. Pour la Yougoslavie, il s’agissait, comme le dit Loïc Trégourès, responsable des sports pour Le Courrier des Balkans, « de se démarquer de l’URSS ». Dans la mise en place du modèle communiste yougoslave, après la rupture entre Staline et Tito, le sport est devenu un facteur-clé de la socialisation. La scolarité à l’allemande laissait la part belle aux activités sportives puisque les après-midis étaient libres. Ce qui est d’ailleurs toujours le cas aujourd’hui dans tous les pays de l’ex-Yougoslavie. Les structures étatiques telles que « l’armée, les chemins de fer ou les mines » subventionnaient des clubs qui rassemblaient les plus talentueux athlètes du pays. Les finances des clubs assurées, ne restait plus qu’à laisser le sport aux sportifs. Les sports collectifs étaient souvent préférés à des pratiques individuelles. Appliquant l’idéologie communiste au sport, on obtenait la mise en avant de l’équipe, jugée supérieure à l’individu.

Aujourd’hui les Etats ex-yougoslaves accordent encore beaucoup d’importance au sport, qui figure d’ailleurs dans la Constitution serbe. En plus d’une philosophie de vie particulière, le sport apporte une visibilité à des Balkans morcelés. Juste retour des choses, peut-être, alors que les organisations sportives sont toujours très soutenues, voire intégralement financées par des fonds publics.

Une vitrine avantageuse pour de tout petits Etats

Snežana Samardžić-Marković, Ministre serbe de la Jeunesse et des Sports jusqu’à juillet 2012, insistait, dans une interview pour Sport et citoyenneté, sur la qualité d’ambassadeurs des sportifs serbes qui trustent les podiums. Elle les voit comme des « vecteurs de rassemblement » derrière un drapeau et un hymne qu’ils contribuent à faire connaître à

Novak Djokovic

Novak Djokovic

travers le monde. La coqueluche serbe, le Djoker, est devenue l’égérie du pays. N°1 mondial depuis 2011 (avec une coupure en 2012), le tennisman Novak Djokovic a imprimé son visage dans l’imaginaire des Serbes, autant que sur leurs t-shirts. En Ex-Yougoslavie, entre basketball, handball, volleyball et waterpolo, même le handisport possède ses représentants, à l’image des volleyeurs assis de Bosnie-Herzégovine, médaillés de l’or paralympique londonien. Missionnés comme représentants, les sportifs victorieux auréolent de gloire leurs pays, les sortant de l’ombre pour un temps.

Morgane Carré

La deuxième dissolution yougoslave

Vingt ans après son démembrement, la Yougoslavie est gravée dans les mémoires comme une période de paix et de fraternité. En 2012, le pays des « Slaves du Sud » a connu la « dissolution » encore une fois après l’annonce de la fermeture en Serbie du parc d’attraction Yougoland.

Passer ses vacances au soleil en Italie, boire du Cokta (le coca-cola yougoslave) acheté au magasin du coin, telle était la réalité des citoyens yougoslaves qui malgré le régime communiste bénéficiaient d’une ouverture politique inconnue aux autres Etats du Bloc de l’Est. L’éducation était gratuite, résultant en une augmentation sensible du taux des personnes lettrées, et les soins médicaux étaient couverts par l’Etat. Le pays était stable, organisé autour de Tito, le leader du parti, et la société civile vivait en paix. Aujourd’hui, les Etats issus de la dislocation de la Yougoslavie sont en proie à l’instabilité économique et politique. Les ex-Yougoslaves regrettent parfois cette période et à se définissent comme « yougonostalgiques ». C’est le cas de Blasko Gabric, un homme d’affaires serbe, qui en 2004 a entrepris de « reconstituer » la Yougoslavie en construisant un parc d’attraction de quatre hectares à son image.

Une histoire qui se répète

Le parc Yougoland, situé à Subotica au nord de la Serbie, représente de facto une « petite Yougoslavie » : on peut y voir la mer Adriatique, le mont Triglav et on n’y entend que des chansons des grands musiciens de l’époque yougoslave. Le parc a été visité par le neveu de Tito lui-même comme par de nombreux visiteurs. Mais l’aventure Yougoland s’arrête en 2012, son propriétaire étant obligé de rembourser l’emprunt d’un ami pour qui il s’était porté garant. Ironie du sort quand on connait l’endettement considérable de la Yougoslavie au moment de sa chute.

La « Yougonostalgie » persistante

Le parc Yougoland n’est qu’un exemple de la forte nostalgie encore présente dans la région. C’est surtout l’époque de paix et de stabilité, en contraste avec les dix années de guerre qui ont suivie, qui est regrettée. La figure titulaire de Tito et le Parti communiste ont étouffé les nationalismes, créant une atmosphère de tolérance entre les différentes communautés et religions. Les jeunes, eux, s’ils n’ont pourtant pas connu cette période, regrettent surtout un âge d’or pour l’art, quand il y avait plusieurs productions de films et une musique de haute qualité. Les vieux tubes yougoslaves sont encore écoutés et appréciés, un peu en contestation du Turbo folk « bas de gamme ».

La Yougoslavie n’existe plus mais son souvenir et la culture de cette époque persistent et lient les générations. Une réaction qui témoigne d’un rejet du présent et de la transition difficile dans laquelle sont engagés les jeunes Etats issus de sa dislocation.

Filip Salamitov