Mirjana Markovic, l’autre Milosevic

La frange noire corbeau, les paupières tombantes, voilant si peu un regard minéral, Mirjana Markovic, ou Madame Slobodan Milosevic, ne s’est jamais limitée à un rôle d’épouse ou de potiche. Derrière l’ancien homme fort de la Serbie, se cachait à peine une femme de fer imposant ses ambitions  au sommet même de l’Etat. Portrait.

Née le 10 Juillet 1942 dans un village de Pozarevac, Mirjana est la fille du révolutionnaire communiste Moma Markovic et de la partisane communiste Vera Miletic. Sa mère est issue d’une grande famille titiste. La sœur de Vera Miletic, Davorjanka Paunovic, n’est autre que la secrétaire de Tito et sa maitresse. Alors que Vera Miletic fait partie des défenseurs partisans, elle est arrêtée, torturée et fusillée. Délaissée par son père devenant un des communistes les plus influents, ce sont ses grands-parents maternels qui la recueillent. C’est donc dans ce désenchantement et vide familial qu’est élevée une jeune communiste et féministe, à l’image de sa défunte mère. Excellente élève et communiste au lycée, elle vient à croiser le chemin de son « jumeaux » masculin : un jeune homme d’origine monténégrine laissé à lui-même après les tragédies familiales de la guerre : Slobodan Milosevic. Ces deux lycéens solitaires, se trouvent et ne se séparent plus jamais. Ils s’accrochent l’un à l’autre, s’encouragent, se soutiennent et vivent l’un à travers l’autre.

Une femme indépendante avant tout

Une intellectuelle. Mariés en 1965, Mira renie sa condition d’épouse traditionnelle. Elle obtient son PhD en sociologie en soutenant une thèse sur les aspects sociologiques de l’éducation dans l’autogestion. Elle est professeur dans les universités de Belgrade.  Mira est une intellectuelle, une dame cultivée et amoureuse de la littérature, surtout russe. C’est lors d’un voyage à Moscou qu’elle devient la première non-russe à être élue à l’Académie des sciences et des arts. Cette reconnaissance de son intellectualité ne vient que lancer sa carrière. Ces livres « Odgovor » (La Réponse) ou « Noc i Dan » (Le Jour et la Nuit)  sont énormément traduits: anglais, allemand, turc, chinois, tamoul, … La résidence familiale reçoit des intellectuels communistes, et d’après Diane Ducret, pendant que Mira participe aux discussions, Sloba prépare des sandwichs pour les invités.

Une féministe. La vie de famille du couple répond aux visions d’égalité des sexes de Mira. Elle avait pour idéal de liberté, un renouveau entre les hommes et les femmes. Elle voulait rééquilibrer les rôles et les rapports entre les deux sexes notamment au sein du ménage car, selon elle, « L’exploitation des femmes est la plus longue forme d’asservissement de l’Homme par l’Homme ». Mira se présentait comme la Wonder Woman des Balkans qui combat l’injustice faite au « sexe faible » – une appellation qu’elle haïssait. Rien de choquant donc qu’elle conserve son nom de jeune fille et qu’elle ne réponde pas aux lettres qui lui sont adressées au nom de Mme Milosevic. Mirjana Markovic voulait plus que tout avoir une existence propre et non pas celle de « femme de … ».

Une communiste. Alors que son mari reprend les rênes du parti socialiste, Mira s’empare de la gauche serbe. Elle est la fondatrice et la présidente en 1994 de la JUL –  la gauche yougoslave, une coalition de 23 partis. Dès lors, elle rencontre un franc succès. Un succès qui s’accompagne d’une rumeur qui lui donne d’autant plus de force politique : Mirjana Markovic, fille illégitime de Tito ? Mira va user de ce ragot comme d’un tremplin et se présenter comme successeur du rêve yougoslave. Ce coup politique augmente la notoriété de la JUL qui vient à s’installer parmi les organes décisionnels : l’armée, l’administration, la police, … Finalement, tout passe par elle. C’est elle, et non pas son mari qui est au pouvoir, qui décide des cadres, du personnel, des promotions et des impôts sur les entrepreneurs.

« Elle en fait ce qu’il est »

Alors que Slobodan Milosevic semble se destiner au monde de la finance, c’est grâce à sa femme qu’il devient un homme politique de gauche et grâce à son ami Stambolic, futur dirigeant yougoslave, qu’il franchit les étapes au sein du comité central. Il devient secrétaire générale de la section de Belgrade en 1984. Dès lors, plus qu’une confidente et une consultante, Mira est le guide de Milosevic dans ce nouvel univers. « Elle est le carburant, il est le moteur » et « Mira est communiste, Milosevic est extrêmement flexible », d’après le défunt Zoran Djindjic. Mitevic, l’oncle de Mira, affirme que pour toutes les questions personnelles et politiques, « elle était en charge ». Mais seuls les intimes du couple connaissaient cette vérité, car publiquement s’affichait une autre Mira. Avant tout, elle ne désavoue jamais Milosevic et  sinon, elle évite toute représentation publique en tant qu’épouse. Mais en privé, elle  est le guide de conscience et l’idéologue. Les premiers discours de Slobodan sont écrits sur la table à manger de leur maison puis relus, corrigés et complétés par Mira. Une maison où « Mes couleurs et mes idées sont présentes partout » affirme Mira,  paroles rapportées  par Diane Ducret. Mais Mme Markovic désavoue son influence : « Serait-ce possible pour un homme qui traite avec des politiciens dix heures par jour de parler encore de cela avec moi ».  Et pourtant …

Mira Markovic serait à l’origine de la première politique nationaliste dans cette Yougoslavie instable.

Quand commencent les bouleversements au Kosovo, Sloba est envoyé dans la région pour apaiser la situation. Cependant, au lieu de répondre aux directives de Belgrade, il préfère écouter sa femme : « Le moment était venu de prendre le parti des Serbes du Kosovo ». Milosevic développe pour la première fois le thème des Serbes et se justifie en disant qu’il a parlé en tant qu’individu, en tant que Serbe – alors que ses origines sont monténégrines.  Le paradoxe va encore plus loin. Mirjana Markovic rêvait d’un renouveau de la Yougoslavie sans nationalisme mais autour de la Serbie. Slobodan Milosevic devient chef de l’état en 1989.

Mira est surtout à son zénith à la fin de la guerre de Bosnie. Dayton 1995 : les diplomates sont choqués du comportement de Milosevic. En effet, à chaque avancée des négociations, il appelle sa femme au téléphone afin de s’assurer qu’il fait les bons choix et les bonnes concessions.  Cependant, malgré Dayton, les combats continuent au Kosovo. Mira décident d’occuper les points en y organisant des concerts rock. Elle participe à la disparition des concurrents politiques de son mari comme Stambolic et des critiques de leur régime comme le journaliste Curujiva. Les bombardements n’arrêtent pas et atteignent la résidence familiale. Dès lors, c’est elle qui engage les négociations avec les USA. Le négociateur américain réussit alors à avoir une discussion avec Milosevic, dont il rapporte que celui-ci a répété presque exactement ce que Mira lui avait dit le soir d’avant.

«  Ton mari fait un travail important mais il le quittera en l’année 2000 » lui a prédit un prophète indien. Le 5 octobre 2000, Milosevic capitule. L’ONU lance son mandat d’arrêt. Son Sloba est arrêté, amené à La Haye et surtout, il est séparé d’elle. Mira s’exile en Russie. Les Russes refusent tous les mandats d’arrêt. Milosevic meurt d’une crise cardiaque à la Haye et est enterré sous leur tilleul de Pozarevac, à l’attendre. Mira n’a pas eu le droit d’assister à l’enterrement pour lui dire au revoir… Elle sait qu’elle le retrouvera à tout jamais sous leur tilleul, dans une Serbie qui se relève encore avec peine des années Milosevic. Mari et Femme.

Andrea Sekularac 

Drague dans les Balkans : petit guide pratique à l’usage des jeunes filles

Danser ou boire une bière quand on est une fille voilà des choses fort banales à faire dans les souterrains des villes de l’ouest de l’Europe. Passés quelques kilomètres au sud est, mieux vaut oublier. De Tirana à Skopje, il y a des règles à respecter si on ne veut pas rentrer seule.

Sarajevo, un soir de février. Il est minuit passé et les rues sont désertes. Pas un bruit, sinon les basses de la discothèque Jež, dans le renfoncement d’une rue, presque impossible à trouver. Une fois la lourde porte passée., deux armoires à glace vous accueillent avec l’oeil moqueur. Les étrangères ne font pas partie de la clientèle habituelle.

Pour cinq marks convertibles -environ 2,50 euros-, l’entrée est gratuite, deux boissons offertes. Attention, boire une bière au goulot discrédite toute chance d’être approchée pour autre chose que pour son corps. Le whisky est à oublier. Jež est une boite, pourtant personne ne danse. Jeunes hommes et femmes sont tous attablés. Les plus hardis bougent nonchalamment les bras, et poussent la chansonnette sur «Sarajevo moje grad». Les esseulés, peu nombreux dans ce bar peuplé de couples, ne tardent pas à remarquer un groupe d’Occidentales se dandinant au milieu de la salle. Le cheveu ras et les épaules larges, ils les invitent à danser, comme on tourne des poulettes à la broche et en profitent pour lancer des blagues, sûrement grasses. Confiants de ne pas être contredits puisqu’ils s‘expriment en bosniaque.

Soumise et sexy

Une fois dehors pourtant, plus aucun risque d’être importunée. Une femme est plus en sécurité dans les Balkans qu’en France la nuit tombée. Elle doit cependant éviter de croiser le regards des hommes, qui peut constituer une invitation à plus. Le port de lunettes de soleil est donc conseillé. Dans les Balkans profonds, dont Jež est un bastion, une femme séduisante ne parle que quand on lui pose des questions. Elle est mystérieuse et porte du simili cuir. Elle ne boit pas d’alcool et ne vous invite pas au restaurant. Elle se fait désirer, mais sans être orgueilleuse. Et si possible, elle n’a pas de frère et une excellente réputation. Mais ce n’est rien face aux critères exigées pour une candidate au mariage. Si dans les Balkans, on se targue d’être  „occidentalisé“ et que les îles croates font office d’Ibiza, les valeurs patriarcales et une vision rétrograde de la femme restent encore largement partagées.

Hélène Legay  

How we in the Balkans kill rats

In 1997 at the Venice Biennale, world famous performer artist Marina Abramovic, performed Balkan Baroque, which included among others, a performance entitled „How we in the Balkans kill rats“.

All dressed in a white doctor’s coat, Abramovic tells the story of creation of rats that, when placed unendurable conditions begin to kill each other. In the end, only the strongest rodent survives.  During the history, Balkan has been divided into many small states that were often in mutual war, fighting with each other, killing each other off and devouring each other like rats, only to have the ‘winning’ rat. Since the migration of Slaves in early 7th century the region has historically been ravaged by warfare whether between the small Balkan states or against the Austria-Hungary’s or Ottoman’s occupation.

A metaphor for the history of the Balkans

The last wars in Balkans were during the desintegration of Yougoslavia. And once again, the majority of states wanted to be the winning rat, the one with the biggest ethnic state. The good example is Abramovic’s native state, Serbia. Serbia as a state, since its inception in the thirties of the nineteenth century is constantly preparing for war and Serbia was in almost constant conflict with all neighboring states and all the surrounding nations even during the period of mutual state Yugoslavia. Whole modern history of Serbia from 1804 till 2003 is tainted with violent political upheavals. During the war in the nineties, Serbia was maybe the most impressive example of the desire to be the winning rat, but it was far from being the only one with these ambitions.

Shame of war

The performance also included the act of self-purification of Abramovic who scrubbed for days cow bones, scraping the last bits of meat from them and weeping as she sang songs in Serbian. She explains her personal suffering and attempt to remove loads of personal and collective unpleasant past: „It was summer in Venice, the smell of bones was unbearable. The whole idea of washing bones is impossible. You can’t wash the blood from your hands, as well as you can’t wash the shame from the war”.

Marijana Petrović