D’une immigration à l’autre : destination France

Emigré de Yougoslavie dans les années 60, le père de Teuta* était ouvrier de l’usine Peugeot à Sochaux, aujourd’hui, la jeune femme d’une trentaine d’années vit et travaille en région parisienne. Comme eux, 10 millions de balkaniques sont dispersés à travers le monde.

M. Preskovitch offrant des spotsi dans Le Père Noël est une ordure

M. Preskovitch offrant des spotsi dans Le Père Noël est une ordure

L’immigration économique

Le père de Teuta contrôlait la production des 404 dans l’Est de la France. Il a répondu à l’appel lancé par une France en manque de main d’œuvre pour faire face aux défis économiques des années 1950 et 1960. A l’autre bout du continent, la Yougoslavie entend cette demande. Le pays a des difficultés économiques et décide d’ouvrir ses frontières et d’organiser le départ d’ouvriers au chômage. La source de devises étrangères issue des transferts d’argents des travailleurs émigrés à leurs familles, restées au pays, sera une aubaine économique pour le régime de Tito.

Parler français à la maison

L’utilisation et la transmission d’une langue dans la sphère privée est un choix que doivent faire tous les migrants dans n’importe quel pays et qui relève de la complexité identitaire, de la gestion de ses origines et de sa culture. Teuta parlera probablement français à ses enfants comme l’avait fait son père avec elle.  Pourtant migrant économique ayant en tête la perspective d’un retour au pays à long terme, il est devenu l’un de ces « migrants peu visibles », les migrants économiques des années 1960 qui se sont fondus dans la population via l’intégration. La stratégie fut tellement efficace que Teuta et sa fratrie durent apprendre le serbo-croate sur le tas lors du retour définitif de la famille en Yougoslavie.

Trouver sa place dans la diaspora : «  française d’origine yougoslave, pays qui n’existe plus ».

On estime que 10 millions de personnes des Balkans occidentaux vivent aujourd’hui à travers le monde. Les Balkans sont une terre d’émigration historique. Teuta incarne la vague de départ la plus récente, celle qui a cherché à  échapper au climat d’une région meurtrie par le conflit des années 1990. Quand elle décroche son diplôme d’études secondaires un peu avant les accords de Dayton, elle regarde naturellement vers l’étranger pour poursuivre ses études … «et 18 ans plus tard, on entreprend de déposer son dossier de naturalisation ! » constate Teuta.  Car son éventuel retour fut toujours découragé par la situation de corruption et la charge d’une famille.

Issue d’un mariage mixte, elle entretient des rapports très lointains avec la diaspora. Certes, elle fréquente Globus, une épicerie serbe qui approvisionne la région parisienne (où vit 60% des immigrés balkaniques) en spécialités d’Europe du Sud-est. Mais loin de leurs frontières, les communautés s’arc-boutent encore davantage sur leur identité et le nationalisme. Les Croates se rencontrent à l’église Saints Cyrille et Méthode rue de Bagnolet, les Serbes au centre orthodoxe Saint-Sava dans le 18ème, etc. Il est donc difficile de s’intégrer à une diaspora lorsque l’on a un père albanais et une mère croate et que l’on est sommé de choisir son camp.

Osijek en Croatie Crédits photo : Flickr/CC/Jason Scott

Osijek en Croatie
Crédits photo : Flickr/CC/Jason Scott

Une image plutôt négative.

Certes un citoyen ou une citoyenne d’origine balkanique n’a pas encore été nommée premier ministre de la France mais la présence de cette immigration n’en est pas moins perceptible. Dans le domaine de la politique ont peut citer Christophe Najdovski adjoint au maire de Paris, du parti écologiste EELV, né en France dans les années 1960 de parents macédoniens. Pour le cinéma, Josiane Balasko , née Balasković , met ses racines culturelles au service de son art et des créations de la troupe du Splendid. C’est elle qui a aidé à la création du personnage de Monsieur Preskovitch dans la pièce Le père Noël est une ordure. Le cheichar, la schlovetnie et les spotsi d’Ossieck sont pures inventions de la comédienne (Osijek est une ville croate) mais ils véhiculent très bien l’idée d’une région étrange, lointaine, aux spécialités et à la langue absconses. En France,  l’image des populations balkaniques est en effet marquée par l’ignorance voire une image négative.

Amélie Brossard-Ruffey

*le nom a été modifié

Anri Sala. Un albanais représente la France à la Biennale de Venise

De Tirana où il est né en 1974 à Berlin où il habite, en passant par Paris où il a séjourné pendant dix ans, cet artiste albanais chouchou du monde de l’art contemporain représentera la France à la Biennale de Venise en 2013.

 Un produit de la diversité culturelle française

Réalisateur, sculpteur, photographe, Anri Sala est un plasticien accompli qui connaît bien la France pour avoir étudié aux Arts Déco et au studio Le Fresnoy, et y avoir construit sa carrière. Le choix de cet artiste voyageur pour la Biennale de Venise est un symbole de l’ouverture et de l’attractivité culturelle de la France qui le consacre une seconde fois par une exposition au Centre Pompidou du 3 mai au 6 août.

Un artiste total

Anri Sala explore l’art dans son intégralité et l’utilise pour faire résonner l’espace physique et mental. Dans son film « Dammi i colori » (Donne-moi les couleurs), une caméra filme la nuit les façades bigarrées de Tirana. En voix off, le maire de la capitale et ami de l’artiste, Edi Rama, force à l’œuvre derrière cette transformation de la ville. Entre les silences du narrateur et les bruits diurnes et nocturnes de la capitale, on entraperçoit dans ce film de quinze minutes à la limite du documentaire des thèmes chers à Anri Sala : la lumière et l’obscurité, le silence et la musique, l’architecture et l’espace, la déambulation, et une recherche de sens difficilement accessible réservée au spectateur averti.

Inspirations balkaniques

Si son activité artistique l’amène surtout à Paris, Londres et Berlin, les Balkans dont il est originaire ne sont pas absents de l’œuvre d’Anri Sala. Le siège de Sarajevo est l’inspiration de son «1385 days without red» (1385 jours sans rouge), film issu d’un projet en collaboration avec l’artiste bosnienne Šelja Kamerić, dans lequel on suit la course haletante d’une musicienne qui rejoint l’orchestre symphonique en traversant la tristement célèbre Sniper’s Alley dans un Sarajevo assiégé. S’il semble refuser l’étiquette d’artiste engagé, Anri Sala préfère dire que faire une œuvre politique, c’est « de ne pas rester dans la passivité et d’accepter les choses telles qu’on les trouve », ce qu’il tente de faire à travers chacune de ses créations.

Damni i Colori (2011)

Hélène Legay