Albanie : une mosaïque de culture avec l’arrivée du printemps

L’arrivée du printemps revitalise l’espoir pour la vie et pour un avenir commun chez les Albanais, quelque soient leurs confessions, durant la journée de printemps et durant la Fête du Sultan Nevruz.

Le jour du printemps, soit Dita e Verës ou Dita e Luleve en albanais, est l’un des moments les plus festifs en Albanie. Le 14 mars est d’ailleurs décrété officiellement jour férié depuis 2004. Cette journée trouve ses racines dans une ancienne tradition païenne, qui est aujourd’hui toujours célébrée dans la partie centrale de l’Albanie et particulièrement dans la ville d’Elbasan.

une assiette de reveni crédits photo : Flickr/CC/bp_lumia920

une assiette de reveni
crédits photo : Flickr/CC/bp_lumia920

Comme toutes les fêtes balkaniques, des préparations commencent soigneusement dès la veille. Dessert typique et traditionnel d’Elbasan, le ballokume à base de délicieux beurre de campagne et de farine de maïs est préparé à cette occasion. Sa recette restant spéciale dans cette région, ces grands biscuits se cuisent au four à bois. Ils paraissent très facile à préparer mais il est très difficile d’obtenir la même saveur que ceux qui sont cuisinés à Elbasan. Une autre raison de visiter ce merveilleux pays pendant son accueil du printemps serait le revani, un gâteau savoureux à la semoule. Les dégustations ne s’arrêtent pas là ; les femmes préparent dès le soir du 13 mars de la dinde rôtie accompagnée de pilafi (du riz cuit spécialement) , d’œufs durs, de figues sèches, de coings, de noix, de châtaignes et de simite (un pain traditionnel).

 

Le 14 mars, une célébration conviviale

Le jour du printemps ne résume pas seulement une orgie de ces délicieux plats. Il signifie surtout un moment très convivial de partage avec la famille et les proches où tout le monde se souhaite chance et prospérité. En général, le dîner est le grand moment de réunion familiale où chacun prend plaisir à la nourriture et aux discussions sans fin. L’esprit de ce jour étant à la joie et surtout à la fête, les rues sont remplies par la foule durant toute la journée. Tous participent aux grands concerts, festivals, spectacles de danse et de folklore et aux foires. Le Premier ministre et ancien basketteur Edi Rama a profité du moment pour jouer au basketball avec les enfants dans la capitale. La renaissance de la nature, le sommeil de l’hiver, le rajeunissement des esprits sont célébrés dans les villes d’Elbasan et Tirana et aussi partout en Albanie.

Au plein milieu des Balkans, une tradition d’origine persane

Quelques jours plus tard, le 22 mars, d’autres célébrations auront lieu en Albanie, cette fois-ci , les derviches bektachis fêteront leur Nouvel An selon le calendrier perse qui marque également pour eux l’équinoxe vernal, soit l’arrivée du printemps.

Cette journée trouve sa signification par son étymologie : le mot « nouvel an » provient de l’ancien persan no, « nouveau » et rouz ou rooz « jour ». Il diffère selon les régions. En turc, c’est le Nevruz, en kazakh le Nauryz, en kurde le Newroz, le Sultan Nevruz en albanais, etc. Cette fête se célèbre au Moyen-Orient, dans le Caucase, en Asie centrale, Asie du Sud, Nord Ouest de la Chine, en Crimée et dans les Balkans, sans oublier dans les diasporas éparpillées dans le monde entier. L’universalité de cette journée traditionnelle, vieille de plus 3000 ans, est marquée également par les Nations unies qui, en 2010, l’ont inscrite sur la liste du Patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’UNESCO et ont institué la Journée internationale de Norouz.

Un sanctuaire bektashi à Krujë au nord de Tirana Crédits photo : Hélène Legay

Un sanctuaire bektashi à Krujë au nord de Tirana
Crédits photo : Hélène Legay

Depuis 1996,  Sultan Nevruz est un jour férié en Albanie. Journée essentiellement mystique et religieuse dans le pays,  il correspond à l’anniversaire de l’imam Ali, considéré comme le seul ascendant des imams après la mort du prophète Mahomet. Des cérémonies spéciales dirigées par le grand imam, le Baba, dans le Tekke (mosquée des Bektachis) décoré avec des grands posters de l’imam Ali, sont organisées en son honneur. Le chef de la secte Bektachi en Albanie est le Baba Edmond Brahimaj qui a prononcé, comme chaque année, ses voeux pour le Nouvel An, en souhaitant comme toujours la paix et la santé pour toute l’humanité : « Nous appelons tous ensemble, toute l’humanité au chemin de la vertu pour trouver l’amour, la joie, la liberté, l’espoir et surtout la paix entre nous-mêmes ». La cérémonie est marquée de symboles nationaux, comme l’hymne national chanté au début et les très nombreux drapeaux albanais. Cette journée, comme la journée de Printemps, a une importance conviviale : dès le matin, les Albanais assistent aux cérémonies en famille, puis poursuivent la journée en se rassemblant autour de tables garnies de spécialités albanaises et accompagnées de rakia, et ils égorgent des agneaux ou des coqs pour les faire rôtir.

Une occasion d’unité en Albanie

Le bektachisme, crée en Turquie au XIIIème siècle par Haci Bektashi Veli, s’est développé sur le territoire albanais avec l’arrivée de l’Empire ottoman au XVème siècle. Le bektachisme se différencie des autres confréries islamiques en représentant une voie mystique qui guide le croyant avec le but ultime de la proximité avec Dieu. Il est considéré comme appartenant plutôt à l’ordre soufi, proche de la branche chiite de l’islam. Il a sa propre interprétation du Coran, des paroles du prophète Mahomet et des Douze imams.  Il accepte également la consommation modérée d’alcool. Cette croyance reste très différente dans la mesure où les idées défendues et développées d’un point de vue philosophique coïncident avec la Déclaration universelle des Droits de l’Homme. Il connaît une forte implantation particulièrement en Albanie depuis le XIXème siècle, en soutenant l’affirmation de la nation albanaise et en garantissant son unité.

Après la fondation de la République Turque, Mustafa Kemal Atatürk a interdit tous les ordres soufis et fermés les loges avant de les convertir en musées en 1925. Par conséquent, la direction Bektachi fut déplacé en Albanie et établit son siège officiel à Tirana. Malgré les années de communisme qui ont suivi en Albanie avec une interdiction très stricte de la religion, ce pays reste le coeur de la confrérie bektachi qui compte aujourd’hui environ 7 millions de fidèles dans le monde. Extrêmement tolérante et ouverte en matière religieuse, l’Albanie fait preuve d’unité durant cette journée avec des hommes politiques de tous bords, peu importe leur foi, présentant leurs vœux à tous les bektachis, ainsi que les autres Albanais, quelle que soit leur croyance et dans le respect mutuel. Pour l’occasion cette année, le président du Parlement albanais, Ilir Meta a visité spécialement le baba Edmond Brahimaj et lui a exprimé ses souhaits pour un meilleur avenir.

Ece Yalavaç

Élections législatives en Albanie : l’émergence de l’Alliance rouge et noire redessine-t-elle l’échiquier politique ?

Les Albanais éliront le 23 juin prochain leur Assemblée. Le bipartisme installé entre le Parti démocrate de Sali Berisha, au pouvoir, et le Parti socialiste d’Edi Rama pourrait être bousculé par de nouvelles formations politiques comme le mouvement nationaliste de l’Alliance rouge et noire.

Les élections législatives en Albanie sont marquées par l’opposition entre ces deux partis : le Parti démocrate qui tente un troisième mandat avec son candidat et actuel premier ministre, Sali Berisha, tandis que le chef de l’opposition tente d’imposer une alternance. Les sondages prévoient pour le moment une avance d’environ 10% pour le Parti socialiste. La question reste tout de même posée quant à la montée de l’Alliance rouge et noire. Cette Alliance, menée par Kreshnik Spahiu, a su se faire une place dans le paysage politique albanais en tant que troisième homme. Bien que sa victoire ne soit pas envisagée, une place importante pourrait lui être donnée dans la chambre qui fonctionne sur un scrutin proportionnel.

Affiche de campagne de l'Alliance Rouge et noir

Affiche de campagne de l’Alliance Rouge et noir

Une campagne fondée sur des symboles nationalistes

Depuis le début officiel de la campagne électorale, le 1er avril 2013, l’Alliance rouge et noire assoit sa communication autour de symboles nationalistes, sans proposer un programme politique tangible. L’Alliance reprend des idées nationalistes du XIXe siècle et prône la Grande Albanie, ce qui lui apporte du succès auprès de certains jeunes. Le dernier slogan de Kreshnik Spahiu est « Dieu d’abord, l’Albanie ensuite ». Ce discours flou, à la fois contre le premier ministre actuel qualifié d’« autoritaire » et reprenant un slogan rappelant largement l’inscription sur les ceintures des soldats nazis, « Dieu avec nous », remporte malgré tout un succès. L’Alliance rouge et noire arrive à cristalliser les Albanais mécontents des politiques de gauche et de droite et les jeunes nationalistes.

Si les références de l’Alliance ne semblent pas choquer les Albanais, leur adhésion reste à confirmer comme le prouve le relatif échec de la manifestation organisée le 7 avril 2013 autour du slogan « Un 7 avril sans Berisha », à mettre en relation avec ce même jour où, en 1939, l’occupation fasciste du pays commença. Si le l’Alliance rouge et noire ne sera sans doute pas à l’origine d’un bouleversement politique en Albanie en juin, les sièges qu’elle est à même de remporter pourront lui donner un rôle important dans la formation d’une majorité absolue par le biais d’une coalition, ainsi que pour faire pression sur le système bipartite.

Mathilde Adjutor

 

DJ Albanie : amour, mix et tradition

Cette semaine, une petite percée dans le rap albanais, tout en flirtant avec les rythmes tallava dont sont spécialistes les Roms et les Égyptiens,  sans oublier la rubrique « le classique » et un chanteur à la voix d’or qui vous fera changer d’avis sur la scène musicale albanaise !

Le hit du moment : « Ole ole », Genta Ismajli ft. DJ Blunt & Real 1

Un peu du parfum des nuits enflammées de Tirana… La kosovare Genta Ismaili, qui a déjà une belle dizaine d’années de carrière à son actif, se renouvelle, dans un genre dont les Albanais sont très friands. Quant à DJ Blunt, il fait partie du top 10 des DJ les plus en vue de la capitale. L’Albanie est tellement friande de mixeurs talentueux que même le monument américain David Morales s’y est risqué. Le prochain David Guetta sera peut être albanais !

Le classique : « Afër dhe larg », Elvana Gjata (proche et loin)

C’était le hit de l’été 2011 mais il reste sur toutes les lèvres, et surtout celles qui s’embrassent a distance. Peut-être n’est-ce pas simplement pour faire joli que le clip a été tourné en Grèce, pays d’exil de nombreux jeunes Albanais. Elvana Gjata, une des plus grandes stars nationales, raconte ces étés ou les jeunes se retrouvent et s’aiment au pays avant de se séparer pour aller travailler, étudier à l’étranger ou rester en Albanie.

Catégorie Bonnie and Clyde : « Të ndarë », Poni ft Dr Flori (séparés)

Si la chanteuse Poni est plus habituée au style folk traditionnel, elle mêle ici sa belle voix et sa classe au flow brut du rappeur Dr Flori. Un mauvais garçon qui regrette ses erreurs du passé et une belle innocente dont le coeur brûle de douleur alors qu’elle doit rester de glace, un schéma de couple peu original qui trouve un écho particulier en Albanie.

Pour les romantiques : « Per ty », Vedat Ademi (pour toi)

Pour ceux qui croyaient que la scène musicale albanaise se résumait au turbofolk, aux faux ongles et au play back, voilà Vedat Ademi, un nounours à la voix d’or qui chante en live avec un vrai groupe. Et pour la touche régionale, le séduisant Kosovar est marié à une Albanaise. « Chaque jour davantage, le vent se lève et ramène ton souvenir », voilà une version classe du séducteur albanais.

Parce que les minorités aussi ont une voix :

Mandi est le petit prince gitan du tallava albanais. Le tallava est un type de musique balkanique mâtinée d’influences grecques, turques, albanaises et slaves. Les principales caractéristiques de cette musique orientalisante sont des morceaux longs et monotones ponctués de solos et de parties chantées et parlées. En Albanie, le tallava est surtout le fait des Roms et Égyptiens  Le club de tallava le plus connu  de Tirana se trouve en face d’une discothèque. Il se remplit vers les petites heures du matin quand les clubs se vident. Il se dit qu’on n’apprécie jamais autant le tallava qu’après plusieurs verres…

A bientôt pour une nouvelle programmation pleine de surprises !

Hélène Legay